Un monde de plus en plus polarisé
La polarisation est une construction mentale fondée sur des idées de groupe : “nous contre eux”. Elle peut s’observer dans de très nombreux domaines : politique, santé (pro et anti vaccins par exemple), écologie, religion, chasse, éducation des enfants, mode, sport, alimentation, et même dans des choses plus anecdotiques mais qui sont de bons exemple de cette notion de fracture qui peut se faire entre deux groupes au quotidien : pain au chocolat ou chocolatine, cuisine au beurre ou à l’huile, etc.
C’est une construction mentale naturelle qui a sa part d’utilité car elle permet à un individu de se situer dans un groupe, de faire appartenance. Mais le souci c’est que depuis plusieurs années on observe une accélération de la polarisation de la société, du monde, on observe de moins en moins de liens entre les groupes qui ne partagent pas les mêmes idées. Concrètement : on se parle moins, on s’évite, on se considère infréquentables. Cet effet est notamment dû à l’avènement d’internet et à un effet d’amplification par les réseaux sociaux, on se connecte plus facilement qu’avant à des personnes qui partagent notre point de vue, et on vit rapidement dans un microcosme numérique cohérent, où on n’est mis en lien quasiment qu’avec des personnes qui partagent nos opinions.
Non seulement on perd l’habitude d’être en contact avec des personnes qui ne pensent pas comme nous mais on est également renforcé dans l’idée que notre point de vue est partagé par la majorité des autres personnes et donc juste. Les modalités de fonctionnement des algorithmes tendent en outre à nous montrer surtout les personnes les plus extrêmes des autres sphères et donc à renforcer l’idée d’une grande incompatibilité entre eux et nous.
Cela aboutit à une radicalisation réciproque des points de vue, et à une forme d’étanchéité des sphères de pensée.
Pourquoi c’est dangereux ? Au delà du danger déjà grand de s’appauvrir dans une pensée unique et non remise en question, il est important de se rendre compte que certains groupes exploitent cette défiance, cette méfiance, ce rejet de l’autre pour créer une adhésion autour d’une identité commune et attiser des rapports de tensions et de haine. On arrive à un stade où le dialogue est impossible entre groupes de personnes, car nous sommes trop pétris de préjugés et d’émotions négatives pour avoir l’élan d’aller vers l’autre ou pour l’écouter.
Si on veut voir le monde évoluer vers plus de paix et d’harmonie, il est impératif de réapprendre à échanger avec des personnes qui n’ont pas les mêmes points de vue que nous, de s’intéresser à leur vision, leur histoire, leurs ressentis. Il est temps de sortir de nos sphères de pensées étanches et de se connecter à l’altérité avec curiosité et ouverture.
C’est également utile de développer cette compétence dans un groupe qui a priori partage les mêmes valeurs, les mêmes points de vue sur le monde et la société. Au sein d’une association, d’une entreprise, d’un collectif citoyen par exemple. L’idée est de s’habituer à accueillir les avis des autres s’ils sont différents du mien comme un cadeau, un enrichissement de mon propre point de vue. C’est une compétence très importante à développer dans une gestion de projet collectif.
L’écoute active et curieuse, une clé pour tisser des ponts entre les individus
Une des clefs pour mieux se relier à d’autres points de vue est de développer ses compétences d’écoute. On ne parle pas là d’être capable d’écouter un cuicui à 10 km hein, mais d’apprendre à écouter une autre personne en faisant taire son propre mental. En le consacrant entièrement aux propos de l’autre.
Très souvent quand on écoute quelqu’un d’autre, surtout si on ne partage pas son point de vue, on a tendance à l’interrompre, commenter, juger réagir (parfois juste en silence dans sa tête). En général en même temps qu’on l’écoute on prépare déjà sa réponse, ses arguments, pour le convaincre, le conseiller, lui faire adopter notre point de vue.
L’idée est de s’entrainer à pratiquer une écoute différente, avec pour intention de départ une grande curiosité à la façon dont l’autre voit le monde. En Communication Non violente on utilise souvent la métaphore de la colline, où deux personnes voient un arbre depuis leurs collines respectives, un côté avec des fruits mûrs et l’autre côté des fruits verts. Et sans faire l’effort d’aller voir la situation depuis l’autre point de vue, chacun reste là à débattre de la couleur des fruits et s’agace de plus en plus.

Pratiquer l’écoute active et curieuse
Voici 6 conseils pour pratiquer une écoute active et curieuse
1) Se mettre dans une posture de curiosité
Le point de départ c’est l’intention avec laquelle on entre dans le dialogue, il est important d’y aller avec une intention de connexion, de reliance.
Nous sommes tellement habitués aux débats, aux joutes verbales, qu’on entre souvent dans un dialogue avec avec quelqu’un qui ne partage pas nos idées avec une forme de défiance, d’agressivité, comme on démarrerait un combat. Et c’est à cause d’un tel état d’esprit qu’on passe à côté d’une occasion unique de grandir.
Rappelez-vous qu’écouter quelqu’un, s’intéresser à son point de vue ce n’est pas forcément y adhérer, c’est se donner l’occasion de s’enrichir d’une vision plus large, plus complète d’un sujet pour continuer de se forger sa propre opinion. C’est donner une occasion de créer une relation saine et mutuellement enrichissante là où il y aurait pu y avoir plutôt tension et conflit.
L’idée est donc de se dire et de se répéter qu’on a une chance inouïe d’échanger avec quelqu’un qui pense autrement que soi et d’en profiter pour découvrir cet autre univers avec curiosité, comme on découvrirait une nouvelle terre inconnue, sans jugement, sans commentaire, juste de l’observation, de la surprise et de l’émerveillement.
2) Être concentré sur son interlocuteur
Lorsque quelqu’un vous parle, essayez de vous concentrer entièrement sur cette personne. Mettez le téléphone de côté, non visible, éloignez votre ordinateur et soyez vraiment présent. Et par ailleurs, essayez aussi de faire taire votre mental qui va avoir tendance à partir dans son jugement, es commentaires, ses analyses.
L’écoute active ne peut se faire qu’avec une grande attention, une qualité d’écoute.
3) Encourager sa parole
Dans une conversation où on pratique l’écoute curieuse et active, on va encourager l’autre à développer ses idées, en posant des questions ouvertes, c’est à dire qui n’appellent pas une simple réponse par « oui » ou « non ». L’idée est de profiter au maximum de cet échange pour s’enrichir de nouvelles informations et donc inciter son interlocuteur à partager son point de vue, ses sentiments.
4) Rester focus, sans préparer sa réponse
Il est malheureusement très naturel pour nos cerveaux de commencer à préparer les réponses dès que l’autre commence à parler. Cette habitude empêche d’écouter pleinement, car notre attention est sur notre propre pensée. Il faut essayer de s’abstenir de préparer sa réponse dans sa tête en avance.
5) Reformuler
Au début ce n’est pas très naturel mais croyez-nous, la reformulation est une technique très puissante dans une discussion. L’idée est simplement de répéter brièvement ce que l’autre vient de dire avec nos propres mots, en essayant de coller au mieux à ses propos. Ca conforte l’autre dans la qualité d’écoute qu’on lui a donné et ça peut permettre de corriger une éventuelle incompréhension.
6) Reconnaître les émotions
L’écoute active peut impliquer de prendre en compte les émotions de l’autre. Si quelqu’un exprime une frustration ou une inquiétude, reconnaître ce sentiment sans jugement contribue à créer un climat de confiance. On peut dire par exemple : « Je vois que c’est vraiment important pour toi ». En reconnaissant les émotions de l’autre, on facilite l’ouverture et la sincérité.
Les obstacles à l’écoute active et curieuse
On va pas se mentir, c’est pas toujours facile d’être en mode écoute curieuse et active, surtout si on n’est pas d’accord avec l’autre, ou que la situation nous touche, présente un enjeux fort ou qu’on est pressé par le temps. Voici les principaux freins à une qualité d’écoute, les connaître peut aider à les lever : les distractions (externes comme les notifications, ou internes comme le cerveau qui part dans son délire), les jugements et préjugés (nos propres opinions peuvent bloquer notre écoute : garder à l’idée de comprendre avant tout, ou a minima de se relier, sans chercher à avoir raison) et les émotions fortes (important de se rendre compte que si le sujet nous touche ou si on a déjà un historique conflictuel avec la personne c’est alors plus difficile de rester calme et ouvert).
A vous d’essayer !
Les occasions pour essayer l’écoute active et curieuse sont multiples ! Et c’est en s’y essayant régulièrement, avec de l’entrainement, qu’on peut arriver à intégrer de façon naturelle cette posture d’accueil et de curiosité à l’altérité.
Dans la vraie vie
Au travail avec des collègues, des membres d’association, en famille le soir avec ses ados ou dans les repas du dimanche avec tonton Lucet qui ne vote pas comme vous ou avec son neveu fan de tunning. De temps en temps, mettez vous en mode écoute curieuse et tentez de faire taire votre mental pour vous relier pleinement et avec ouverture à la vie telle qu’elle est vue par l’autre.
Vidéos sur le net
Et si vous alliez à la recherche de vidéos que les algorithmes ne vous proposent jamais ? Des vidéos sur des sujets qui vont à l’encontre de votre vision du monde actuelle ? Enrichissez vous de ces autres visions du monde, sur des sujets que vous connaissez mais pour lesquels vous vous sentez fermés aux autres points de vue par exemple.
Des lectures et audios
Magazines, livres, podcasts sont autant de formats pouvant vous permettre d’aller à la rencontre d’autres points de vue. Et si pour une fois vous achetiez le journal concurrent ? Le magazine que vous évitez soigneusement habituellement ? Avec un état d’esprit de curiosité.
Nous sommes curieux de vos retours à ce sujet ! Envie de nous écrire ? C’est par ici.